Au Soudan, des déplacés d'El-Facher font état de proches enlevés ou tués par les FSR
Des personnes ayant fui El-Facher ont affirmé samedi à l'AFP que les paramilitaires devenus maîtres de cette ville de l'ouest du Soudan avaient séparé des familles, tuant ou enlevant des jeunes hommes, l'Allemagne s'alarmant d'une situation "absolument apocalyptique" sur le terrain.
Depuis la prise de cette ville de la vaste région du Darfour par les Forces de soutien rapides (FSR) le 26 octobre, des ONG et témoins font état d'exécutions sommaires, violences sexuelles, attaques contre des travailleurs humanitaires, pillages et enlèvements, tandis que les communications restent largement coupées.
Zahra, mère de six enfants, a fui El-Facher pour la ville de Tawila, à 70 km plus à l'ouest, comme des milliers d'autres déplacés.
Lors d'un entretien téléphonique par satellite avec l’AFP, elle a raconté que sur la route des combattants des FSR les avaient stoppés et avaient embarqué ses fils âgés de 16 et 20 ans, avant d'en relâcher un.
"Je ne sais pas si mon fils Mohamed est mort ou vivant" dit-elle, racontant que les FSR ont pris d'autres garçons qui se trouvaient dans son groupe.
Adam, également échappé d'El-Facher, a déclaré à l'AFP que deux de ses fils, âgés de 17 et 21 ans, accusés par les paramilitaires d'être des combattants armés, avaient été tués sous ses yeux.
- "Les massacres se poursuivent" -
Des FSR, dit-il, l'ont aussi accusé d'être un combattant et lui ont fait subir un interrogatoire lors duquel il a été battu, avant d'être libéré.
Les personnes auxquelles l'AFP a parlé ont demandé à ce que leur nom de famille ne soit pas révélé par crainte de représailles.
Plus de 65.000 civils ont fui El-Facher, où des dizaines de milliers de personnes sont encore piégées, selon l'ONU. Avant l'assaut final des paramilitaires, la ville comptait environ 260.000 habitants.
Avec la prise d'El-Facher à l'issue de 18 mois de siège, les FSR dirigées par le général Mohamed Daglo sont désormais maîtres de la vaste région du Darfour qui couvre un tiers du pays.
De nouvelles images satellites et des témoignages de Médecins sans frontières (MSF) suggèrent samedi la poursuite des massacres dans la ville.
Le Laboratoire de recherche humanitaire de l'université de Yale, qui analyse des vidéos et images satellites, a identifié au moins 31 groupes d'"objets" correspondant à des corps humains entre lundi et vendredi, dans divers sites universitaires et militaires.
"Les indices montrant que les massacres se poursuivent sont clairement visibles", conclut-il.
L'ONG MSF a elle dit craindre qu'un "grand nombre de personnes" soient toujours "en grave danger de mort" à El-Facher et que les civils soient empêchés par les FSR et leurs alliés "d'atteindre des zones plus sûres" comme Tawila.
Des survivants ont raconté à MSF que des habitants avaient été séparés selon leur sexe, âge ou identité ethnique présumée, et que beaucoup étaient toujours détenus.
Un rescapé a rapporté des "scènes horribles" de prisonniers écrasés par les véhicules de combattants.
- Informations "terrifiantes" -
Depuis dimanche, plusieurs vidéos sur les réseaux sociaux montrent des hommes en uniforme des FSR y procéder à des exécutions sommaires, les paramilitaires affirmant que plusieurs de ces séquences ont été "fabriquées" par des sites liés à l'armée.
Les paramilitaires ont affirmé jeudi avoir arrêté plusieurs de leurs combattants soupçonnés d'exactions, et l'ONU a réclamé vendredi des enquêtes "rapides et transparentes" après des "témoignages effroyables" d'atrocités dans cette localité.
S'exprimant en marge d'une conférence à Bahreïn, le ministre allemand des Affaires étrangères, Johann Wadephul, a qualifié samedi la situation d'"absolument apocalyptique", évoquant comme l'ONU la "pire crise humanitaire du monde". Les FSR "devront rendre compte de leurs actions", a-t-il ajouté.
"Les informations qui nous parviennent du Darfour ces derniers jours sont véritablement terrifiantes", a fait écho son homologue britannique, Yvette Cooper, évoquant les "atrocités commises, exécutions de masse, famine et le viol comme arme de guerre".
Le Soudan est déchiré depuis avril 2023 par une guerre opposant l'armée, qui contrôle le nord et l'est du pays - le gouvernement pro-armée s'étant replié sur Port-Soudan - et les FSR.
Les pourparlers en vue d'une trêve, menés depuis plusieurs mois par un groupe réunissant les Etats-Unis, l'Egypte, les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite, sont dans l'impasse, selon un responsable proche des négociations.
Les FSR ont reçu armes et drones des Emirats arabes unis, selon des rapports de l'ONU, tandis que l'armée bénéficie de l'appui de l'Egypte, de l'Arabie saoudite, de l'Iran et de la Turquie, selon des observateurs. Tous nient toute implication.
O.Esposito--IM